Le meilleur des mondes

Publié le 25 Août 2006

J'aimerais bien qu'un jour le monde soit débarrassé de l'amyotrophie spinale. Et pendant qu'on y est, de toutes les autres maladies handicapantes, invalidantes et douloureuses. Qu'elles soient génétiques ou pas. Et puis aussi que jamais les enfants ne soient victimes de sévices, ni d'accidents, ni de guerres. Qu'aucun enfant ne grandisse désespérément seul. Que personne ne connaisse le deuil. Qu'il n'y ait pas d'épreuve.... Mais finalement est-ce tellement souhaitable d'en arriver là ?

La vie est dangereuse, et injuste, et ça ne changera jamais. Il y aura toujours des victimes du sort, marquées dans leurs chairs et dans leurs âmes par des souffrances imprévisibles, inévitables.

Ca me fait bizarre d'avoir moi, une protestante anti-cléricale et libertaire, un discours aussi "catholique", mais je crois que dans ce jeu parfois pervers de la vie, une des meilleures règles c'est de la prendre comme elle vient. A bras le corps. A bras le coeur. On ne fait pas l'économie de la souffrance. Ni pour soi, ni pour ceux qu'on aime.

Quand est-ce qu’on décide que le poids d'une vie est insoutenable ? Quand est-ce qu'on décide que le poids d'une autre vie, celle de quelqu'un qu'on aime, est insoutenable ? Pour lui, pour elle, pour soi ?

J’ai été amenée à prendre cette décision. Un jour, j’ai dit : "si c’est ça l’avenir d’Amandine, je la débrancherais moi-même." J’ai des témoins. J’en aurais répondu devant la justice des hommes, celle de Dieu et devant ma conscience, mais je l’aurais fait. Dix jours plus tard, Amandine est morte sans que je la débranche. Elle n’a pas eu l’avenir que je redoutais tant. Elle n’en a pas eu un autre non plus.

Mais est-ce que j’aurais supporté que quelqu’un d’autre prenne cette décision à ma place ? Je supportais déjà tellement difficilement de décider pour elle de ce que je ne pouvais pas, moi, égoïstement, admettre de la voir (non-)vivre.

Qu'est-ce qu'un monde parfait ? Comment construire un monde sans amyotrophie spinale sans que ce soit un monde sans Amandine, ni Jade, ni Timothée ?

Le point de départ de cette discussion réside dans quelques échanges sur la liste ASI. Il me semble bien évidemment normal d'avoir recours à des tests génétiques quand on sait qu'il y a un risque de transmission dans une famille, mais faut-il obliger toute la population française à se faire dépister systématiquement (et pourquoi alors se limiter à la France) ?

Il y a là un pas que je ne franchirai pas. Généraliser les tests (si on y met l'amyotrophie spinale, autant y mettre aussi la trisomie, le diabète, l'hémophilie, la mucoviscidose, la prédisposition aux cancers, etc.....) conduit au pire de l'eugénisme étatique.

Mais je sais bien que si on ne fait des tests que lorsqu'il y a un risque, ça veut dire que dans une famille il faut un cas de référence, un cas "zéro", un enfant atteint. Donc on n'évite pas que la maladie survienne.

Et quand il y a un risque, qu'est-ce qu'on fait ? Le recours au DPN (diagnostic pré-natal) entraîne une décision douloureuse à prendre en cas d'enfant atteint : l'avortement thérapeutique. Pourquoi dire qu'il est systématique ? Pourquoi le rendre "moralement" obligatoire ? N'est-ce pas un choix qui incombe aux parents et aux parents seulement ?

Qui a décidé qu'un avortement était plus facile à assumer qu'un enfant malade ? Je préfère pleurer Amandine, ce qui est le cas, et qui sera le cas jusqu’à mon dernier souffle, plutôt que de ne jamais l'avoir connue.

Les assurances se mêlant étroitement de la santé et de la vie privée des gens, la notion de choix devient toute relative. Quand on vous dit que si vous mettez au monde l'enfant "défectueux" que vous attendez, vous n'aurez droit à aucune prise en charge parce que sa pathologie n'est pas acceptée par votre système d'assurance, comment faire pour l’assumer ?

Le monde dans lequel on vit cède à l’uniformisation, à une forme d’eugénisme sournois, à la standardisation des individus, de leur état de santé, de leur apparence, de leurs comportements.

Les pressions sont aussi importantes pour adhérer à un modèle physique et esthétique que d’adhérer à un modèle mental. On se doit de se lisser psychologiquement, moralement, en évitant toute forme de névrose, toute folie, tout écart d'humeur et de langage... Il faut niveler ses opinions, les pensées qu’on exprime. Le politiquement correct, moi à force, ça commence vraiment à me gaver !

Alors c'est ça l'avenir du monde ? C'est ça un monde meilleur ? Un univers où toutes les femmes seraient des clones de Pamela Anderson (QI compris), les hommes des clones de Brad Pitt, et les enfants des clones de ceux que l'on voit dans les publicités télévisées, lisses, roses, valides ........ "normaux" ?

Un monde où on aurait tous les mêmes désirs, les mêmes fantasmes, les mêmes opinions, les mêmes ambitions ?

J'attends des pubs télévisées avec des enfants en fauteuil avant de dire que je vis dans un monde meilleur, parce que même si on éradique un jour l'amyotrophie spinale - ce que je souhaite ardemment - d'autres maladies, d'autres "tares" feront que rien ni personne ne sera jamais "parfait". Je crois que la perfection n'existera jamais que dans la diversité. Y compris la diversité des dysfonctionnements et des handicaps.

Macha.

Quelques références :
- le meilleur des mondes d'Aldous Huxley en poche sur Amazon.
- article sur le bouquin dans Wikipédia.
- article sur l'eugénisme dans Wikipédia.

Rédigé par Macha

Publié dans #Dans quel monde vivons-nous

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I
Bonsoir Macha,C'est vrai, le handicap fait peur ......comme faisait peur à une époque les infections (avant les antibiotiques) ou autres affections mal connues.Je me pose la question de l'avortement et de l'eugénisme à mettre en parallèle avec les souffrances endurées par un enfant qui est né avec un mal incurable et mortel (ex : maladies mitochondriales).En classe, j'avais un copain dont le frère avait la myopathie de Duchenne. A l'époque (années 70), il n'y avait rien et les médecins n'étaient pas psychologues. Il est mort à 10 ans, en s'étant vu décliner sans possibilité de soin ni de fauteuil électrique !!!! Ses parents l'ont emmené à Lourdes en dernier recours.....et je n'ai pas de réponseIsa
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M
Vaste débat. Où chacun trouve des pistes de réponses, au fur et à mesure de sa vie, de ses rencontres, de ses choix... Et le monde évolue lui aussi. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, sur tous les plans, mais c'est en essayant qu'on avance...A bientôt,
M
Arrivée par hasard sur ce blog, le hasard des brodeuses, de ces brodeuses qui se ressemblent. Je suis très émue en te lisant et en lisant les commentaires. Tous les jours, je vis de par mon métier avec des enfants différents, plus handicapés intellectuellement que physiquement. Le hasard d'une formation m'a fait vivre des moments intense avec des adultes sur fauteuil. Nous avons mon mari et moi passé deux soirées avec eux. Je n'ai jamais de ma vie rencontrée plus de joie de vivre, de bonheur, et je n'ai jamais autant ri. Je ne savais pas que l'on pouvait valser en fauteuil roulant, jouer de la musique avec une batterie de cuisine avec tant de conviction. Il formait un orchestre, un vrai pas avec la batterie de cuisine!!!!! l'orchestre s'appelait "l'orchestre Contre-Silence" (ça veut tout dire). Je reviendrai sur ton blog et cette fois-ci pas par hasard. Tout ce qui a été dit sur les enfants je le partage entièrement, en tant que maman, que grand-mère. Et en plus je crois y reconnaître mon amie MIMI, et je ne suis pas étonnée de la retrouver ici. Gros bisous Macha à toi et à tes poupons si mignons.
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L
Tu n'es pas la seule à penser de la sorte ....... nous ne sommes pas seules ..........  mais oui, il devrait y avoir aussi une "instruction" pour apprendre à regarder autour de soi, et de manière naturelle ...... les personnes souffrantes, différentes, mais il semble que ce soit encore pour demain ......... parce que pour cela il faudrait un peu moins de nombrilisme et plus d'intelligence aussi.  De tout coeur .... Catherine
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V
Je suis persuadée Macha qu'il y aura beaucoup de visiteurs sur cette page et peu d'expression du ressenti. Parce que les autres ont peur de la maladie, de la différence, de l'handicap. Alors, même s'ils ont un "coeur grand comme cela" et sont prêts à donner de l'argent pour beaucoup de causes, ils oublient de poser leur regard, d'offrir un sourire, de donner un coup de main...<br /> Alors, tant pis pour les peurs. Je continuerai à sourire aux personnes que je croise en fauteuil en n'étant pas condescendante mais attentive. Je les verrai, comme tes p'tits loups, d'abord et avant tout comme des amours. Et si un jour, on peut leur faire faire un truc exceptionnel ensemble, j'en serais ravie. Pas pour moi. Pour EUX, pour TOI qui fait tout pour que leur vie soit la plus belle possible.<br /> Et ceux qui nous quittent et que nous aimons toujours autant ne nous quittent jamais tout à fait. Ils nous laissent le meilleur d'eux-mêmes qui vient à la rencontre de ce que nous avons de meilleur, notre sensibilité.<br /> Moi aussi, j'aurais bien aimé que quelqu'un d'autre la débranche...<br /> Amitiés,
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M
dès que l'on a des enfants, on tremble, on tremble quand ils sont petits car ils sont petits, quand ils sont grands car ils sont grands, quand ils sont malades car ils sont malades, quand ils ne sont pas malades car on a peur qu'ils le soient...alors on est très malheureux, et puis on est aussi très très heureux car on les aime.<br /> on les aime petits, grands, malades, loin ...on les aime fort, très fort parce qu'ils sont le plus merveilleux des cadeaux.<br /> Jade et Timothée sont ces cadeaux.  
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