Le temps est à l'orage
Publié le 19 Février 2006
Dans plusieurs des communautés auxquelles je participe sur Internet, le temps est à l'orage (un des forums de brodeuses a failli imploser, et la liste amyotrophie spinale a connu récemment des moments de très fortes émotions....).
Comme j'aimerais quand même m'exprimer sur certaines questions, mais que j'en ai marre de saturer la liste ASI, je vais vous raconter ici une histoire...
Il était une fois,
Il était une fois la théorie. La théorie, c'est que l'amyotrophie spinale est une maladie autosomique récessive, et donc que pour la transmettre il faut que les deux parents soient porteurs d'une délétion de l'exon 7 du gène SMN.
Alors en 2001, forts de cette théorie, et sachant que je suis porteuse de la délétion depuis les examens pratiqués sur ma fille Amandine en 1996, le futur papa des jumeaux et moi-même avons fait des examens génétiques avant de nous marier et de mettre en route des bébés.
En théorie, il n'était pas porteur, donc on nous a dit que les risques étaient de moins de 1/3000 d'avoir un enfant atteint d'ASI. Et, déjà, nous n'avions pas bien compris pourquoi ce n'était pas zéro, puisque, en théorie, nous ne pouvions pas donner naissance à un enfant malade......
Voilà.
Et puis, il y a la "vraie vie". Quand Timothée a eu 1 an, à la suite d'examens multiples et douloureux, le verdict est tombé, il était lui aussi atteint d'une ASI. Comment c'est possible ? Ah, ben peut-être une mutation "de novo" sur le gène sain au moment de la conception du bébé...
Cinq mois plus tard, le même verdict est tombé pour sa soeur jumelle Jade. Et les examens ont ensuite révélé qu'ils partagent tous les trois, Jade, Timothée et leur papa, la même mutation génétique.
Alors, en théorie, quelles sont les probabilités pour que :
- je sois porteuse de la délétion (1/40)
- en tant que porteuse je rencontre un autre porteur (1/40 x 1/40 = 1/1600),
- ensemble nous ayions Amandine (par fécondation in vitro) et qu'elle soit malade (1/1600 x 1/5 x 1/4 = 1/32000),
- je rencontre ensuite un homme porteur non pas de la délétion (trop facile, les examens l'auraient montré) mais d'une mutation sur ce même gène (je ne connais pas les chiffres),
- ensemble nous ayions deux enfants et qu'ils soient tous les deux malades (c'est presque de la science-fiction, là),
- sur les trois enfants que j'ai mis au monde, tous soient atteints de cette p...n de maladie (mais où sont les petits hommes verts) ?
C'est extrêmement faible comme probabilité. Un vrai délire. Je ne sais pas ce qu'il avait bu, le grand Barbu, quand il a écrit ma vie, mais ça ne devait pas être du thé à la menthe, moi j'vous l'dis... Mais j'ai appris une chose du coup, c'est qu'en médecine génétique, les risques ne sont JAMAIS nuls.
Or, je bénéficie d'une tribune large auprès d'autres parents d'enfants atteints ou concernés par l'ASI. J'ai de la place pour m'exprimer sur ce sujet, sur internet en particulier.
Alors une alternative se présente à moi :
Choix n° 1 : dramatiser. Ne parler que de mon cas, à titre d'exemple, en disant que ça peut arriver à d'autres. Quand les parents m'interrogent, avoir des réponses du genre :
- est-ce que l'enfant atteint d'ASI peut avoir une autre maladie génétique en plus ? Oh oui.
- Est-ce que les autres enfants de la fratrie peuvent avoir l'ASI, même sous un autre type, à un autre âge ? Oui, oui, et la développer n'importe quand.
- Est-ce que eux-mêmes les parents peuvent développer la forme adulte de la maladie, qui se déclenche généralement après l'âge de 35 ans ? Oui, même si les tests ont donné qu'ils sont hétérozygotes, on ne peut pas garantir qu'il n'y a pas une mutation sur le gène dit sain, qui donnerait une ASI4.
- Est-ce que leur enfant peut mourir de complications liées à l'ASI ? Oui.
- Est-ce qu'il peut aussi se faire renverser par un autobus en sortant de chez lui ? Oui.
- Est-ce qu'il peut arriver pire ? Oui, en cherchant bien je suis sûre qu'on peut trouver. Ne serait-ce que dans les conditions dans lesquelles les drames précédents peuvent arriver.
Si j'apportais ces réponses, je ne mentirais pas. Je pourrais tenir ce discours... Et autant terminer en disant qu'on peut aussi bien prendre ses gamins dans ses bras, aller au bord d'une falaise, se mettre une pierre autour du cou et se jeter dans le vide, non ?
Choix n° 2 : rassurer. Minimiser les risques qui sont minimes (pas les autres évidemment). Rappeler que l'essentiel est ailleurs. L'essentiel c'est l'amour. On ne peut rien garantir, on ne peut rien savoir de l'avenir, ni pour un enfant malade, ni pour un enfant valide. Les parents qui vivent dans la situation la plus "standard" du monde, avec des enfants en parfaite santé, savent bien qu'il faut prendre sur soi pour faire taire ses angoisses, et arriver à vivre et laisser vivre, et profiter pleinement de sa relation avec un enfant qui grandit.
Quand les risques sont plus grands que d'habitude, il faut encore plus prendre sur soi. Et essayer chaque jour de mettre une partie de ces incommensurables angoisses au fond d'un placard, pour plonger dans les yeux de son enfant, de ses enfants, et les aimer tout simplement. Laisser de la place dans cette "vraie vie", au miracle de chaque instant. De tous les parents que j'ai rencontrés, je n'en ai entendu aucun regretter (plus de 5 secondes) d'avoir eu cet enfant, même quand l'enfant était parti.
Au coeur de cette énorme malchance de l'ASI, il y a une petite chance. Cette chance, elle est d'être dans l'essentiel à chaque instant. Dans l'essentiel de la vie, et dans l'essentiel de l'amour. Et aucun parent un temps soit peu en contact avec son enfant n'a pu passer à côté. Et pour en profiter pleinement, il ne vaut mieux pas se laisser aller à imaginer ce qui "pourrait" arriver.
Entre les deux options, j'ai fait mon choix. Et je n'oublie jamais pourquoi. Alors on peut me reprocher de ne pas toujours dire toute la vérité. Ou d'abuser des "quasiment", comme dans "les risques sont quasiment nuls que le grand frère de 3 ans soit lui aussi atteint d'une ASI alors que sa petite soeur de 18 mois développe la maladie." Je suis bien placée pour savoir tout ce qui peut arriver dans un "quasiment". Mais la vie, ce n'est pas crever d'angoisses sur ce qui peut arriver.
Et le moyen que j'ai choisi d'aider les autres parents et les autres enfants, ce n'est pas de les faire tous broyer du noir en se demandant si la vie vaut la peine d'être vécue, ça je laisse ça aux médecins qui n'ont pas d'autre choix que de dire les choses le plus littéralement du monde. C'est leur rôle, pas le mien.
Ouf, ça fait du bien...
Macha.